Faut-il avoir une imagination débordante pour réussir en mémoire ?

Faut-il une imagination débordante pour exceller en mémoire ? Entre mémoire visuelle, palais mentaux, imagerie mentale et techniques comme le PAO, cet article explore ce que la science et l’expérience révèlent sur le rôle réel de l’imagination dans la performance mnésique.

La mémoire humaine fascine autant qu’elle interroge. Parmi les techniques les plus puissantes utilisées aujourd’hui par les champions de la mémoire, nombreuses sont celles qui reposent sur des procédés visuels et narratifs, souvent qualifiés d’« imaginatifs ». Faut-il pour autant être doté d’une imagination débordante pour exceller dans cet art ? Cet article explore cette question sous les angles scientifique, pédagogique et expérimental.

Ce que dit la science sur l’imagination et la mémoire

La mémoire visuelle et associative

Les recherches en psychologie cognitive ont montré que l’information associée à une image mentale vivide est mieux retenue qu’une information abstraite. C’est le principe de la dual coding theory (Paivio, 1971), selon lequel le cerveau encode mieux une information lorsqu’elle est traitée à la fois verbalement et visuellement.

En savoir plus sur le principe de la dual coding theory (Paivio, 1971).

Par ailleurs, la méthode des loci, utilisée depuis l’Antiquité, repose sur la capacité à construire des images mentales vivantes et à les associer à un parcours spatial connu. Cette technique est encore aujourd’hui la base des performances dans les compétitions de mémoire.

Imagination vs imagerie mentale

Attention cependant à ne pas confondre imagination débordante et capacité d’imagerie mentale. Certaines personnes très imaginatives ont du mal à structurer leurs pensées ou à canaliser leur attention, tandis que d’autres, sans être « créatives » au sens artistique, manipulent efficacement des images simples et fonctionnelles pour retenir l’information.

Un article de Pearson et al. (2015) dans Nature Reviews Neuroscience rappelle que l’imagerie mentale peut être entraînée et qu’elle varie grandement entre les individus. Il existe même une condition appelée aphantasie, où les personnes ne parviennent pas à visualiser d’images mentales du tout — pourtant certaines d’entre elles parviennent à développer une excellente mémoire par d’autres biais, comme la répétition ou la structure logique.


Que font réellement les champions de la mémoire ?

Des images codées, pas de la fantaisie

Les compétiteurs de mémoire utilisent des systèmes très structurés, comme le PAO (Personnage-Action-Objet), le système majeur, ou encore les palais mentaux. Ces techniques reposent davantage sur la récurrence et l’efficacité que sur la fantaisie pure.

Par exemple, mémoriser un chiffre comme 37 20 09 peut donner dans un système PAO :

Mickey (37) qui danse (20) avec une soupe (09)

Ces images sont parfois farfelues, mais leur but est la précision et l’encodage rapide, pas l’originalité littéraire. Johannes Mallow, double champion du monde de la mémoire, expliquait dans ses interviews que l’imagination se structure comme une base de données — il s’agit d’un outil, pas d’un délire artistique.

Les profils des compétiteurs

Un sondage informel réalisé auprès de compétiteurs du World Memory Championship montre que beaucoup d’entre eux se décrivent comme logiques, organisés, et peu artistes. Ils ont appris à exploiter leur mémoire par entraînement, non par talent inné ou exubérance imaginative.

Peut-on réussir sans être imaginatif ?

L’imagination se travaille

De nombreuses études montrent que l’imagerie mentale est plastique : on peut apprendre à visualiser, à associer, à exagérer les formes et mouvements. Cela s’apprend comme on apprend à dessiner ou à jouer du piano. Une étude de McKelvie (1995) indique que les performances mnésiques s’améliorent nettement après quelques semaines d’entraînement ciblé, même chez des personnes ayant peu d’imagerie spontanée.

D’autres canaux sont possibles

Certains mémoristes exploitent des associations verbales, auditives ou kinesthésiques. Par exemple, certains retiennent des séquences de chiffres en les chantant mentalement, ou en les tapant sur un clavier imaginaire. La mémoire est multisensorielle, et chacun peut développer sa propre stratégie.

Ce que révèle l’expérience des formateurs

Enseignement de la mnémotechnie

Les formateurs en techniques de mémoire constatent qu’il est plus difficile d’apprendre à un élève à croire à ses images qu’à les produire. Autrement dit, ce n’est pas l’imagination qui manque, mais la confiance en celle-ci.

Certains débutants se censurent en jugeant leurs associations « absurdes » ou « puériles ». Une fois cette barrière levée, les progrès sont fulgurants, y compris chez les personnes qui se pensaient « peu imaginatives ».

Ce qui fait vraiment la différence

Selon Idriz Zogaj, coach suédois de mémoire, la régularité, la clarté du système utilisé, et la répétition espacée sont les trois clés du progrès. Il estime que moins de 10 % du succès en compétition vient d’un talent naturel d’imagination, et plus de 90 % d’un bon usage des méthodes.

Conclusion : faut-il une imagination débordante ?

Non.

Réussir en mémoire ne requiert pas une imagination débordante, mais une imagerie mentale fonctionnelle, structurée, et entraînée. L’imagination artistique peut être un atout au début, mais elle n’est ni nécessaire, ni suffisante.

Ce qui compte, c’est :

  • d’accepter de créer des images simples, parfois absurdes,
  • de les organiser dans un système cohérent,
  • et de les revoir à intervalles réguliers.

En mémoire, la rigueur bat la rêverie, et tout le monde peut s’y entraîner.


Pour aller plus loin

  • Paivio, A. (1971). Imagery and Verbal Processes. New York: Holt, Rinehart & Winston.
  • Pearson et al. (2015). “Mental imagery: functional mechanisms and clinical applications.” Nature Reviews Neuroscience, 16(11), 745–758.
  • McKelvie, S.J. (1995). “The Vividness of Visual Imagery Questionnaire as a predictor of memory performance.” British Journal of Psychology, 86(3), 493–505.
  • Interviews de Johannes Mallow, Boris Konrad, Idriz Zogaj sur le site Memory-Sports.com

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