Les pires « conseils » populaires en mnémotechnie, mémoire… et autres neuromythes (1ère partie)

Beaucoup de neuromythes circulent sur la mémoire et la mnémotechnie : cerveau gauche/droit, effet Mozart, brain games… Découvrez les pires conseils et les vraies techniques efficaces.


On trouve partout des slogans faciles sur la mémoire : « on n’utilise que 10 % du cerveau », « apprends selon ton style », « lis plus vite sans perdre en compréhension », « entraîne ton cerveau et ton QI va grimper ». Ces idées séduisent parce qu’elles promettent des gains sans effort… mais elles résistent mal aux faits. Voici un tour d’horizon des pires conseils — et ce qu’il faut faire à la place.

« Découvre ton style d’apprentissage (VAK) et tout deviendra simple »

L’un des neuromythes les plus persistants est celui des styles d’apprentissage VAK : visuel, auditif, kinesthésique. Selon cette idée, chaque individu aurait une modalité préférée, et il suffirait de s’y conformer pour apprendre plus efficacement. C’est séduisant : on aime se définir (« je suis plutôt visuel », « je retiens mieux en écoutant »), et de nombreux formateurs continuent d’utiliser ce cadre simplificateur.

Le problème ? Lorsqu’on teste sérieusement l’hypothèse du “matching” (le fait qu’enseigner dans le style préféré améliore l’apprentissage), les résultats sont clairs :

  • Les apprenants expriment bien des préférences subjectives.
  • Mais adapter l’enseignement à ces préférences ne produit pas d’amélioration mesurable des performances.
  • Les gains observés viennent plutôt du type de contenu : certaines notions se prêtent mieux à une image (géométrie, anatomie), d’autres à une audition (phonétique, musique), d’autres encore à la manipulation (sport, gestes techniques).

Le Poorvu Center for Teaching and Learning de Yale résume ainsi : « Les étudiants peuvent avoir l’impression d’apprendre mieux selon leur style déclaré, mais la recherche n’a pas démontré que l’adaptation de l’enseignement à ces styles améliore les résultats » (Poorvu Center, Yale University).

En d’autres termes, croire que l’on est « visuel » ne veut pas dire qu’on apprendra mieux un poème en couleur qu’en l’écoutant ; l’effet est psychologique, pas pédagogique.

Que faire à la place ?

Plutôt que de chercher à calquer l’enseignement sur une préférence subjective, la recherche recommande d’exploiter des stratégies qui ont un effet robuste et reproductible sur l’apprentissage :

La récupération active (retrieval practice) : se tester sans support renforce durablement la mémoire (Roediger & Butler, Trends in Cognitive Sciences, 2011).

La répétition espacée (spaced repetition) : revoir une information à intervalles croissants optimise la consolidation (Cepeda et al., Psychological Science, 2006).

La pratique entremêlée (interleaving) : mélanger des catégories d’exercices voisins favorise la discrimination et la flexibilité cognitive (Taylor & Rohrer, Applied Cognitive Psychology, 2010).

Ces méthodes ont l’avantage d’être indépendantes des styles autoproclamés et de fonctionner pour tous, quel que soit le profil.

En résumé : les styles d’apprentissage (VAK) sont un mythe pédagogique populaire mais inefficace. Ce n’est pas ta préférence qui compte, mais la nature du contenu et surtout l’usage de techniques validées comme l’espacement, la récupération active et l’entremêlement.

« Tu n’utilises que 10 % de ton cerveau »

C’est sans doute le neuromythe le plus célèbre. On l’entend depuis des décennies, dans les médias, les formations de développement personnel ou encore dans certains films. L’idée est simple et frappante : l’être humain n’exploiterait qu’une infime partie de ses capacités cérébrales, laissant entendre qu’il suffirait de “débloquer” les 90 % restants pour devenir un génie.

Le problème ? C’est faux. Les neurosciences ont montré que :

  • Même au repos, le cerveau est loin d’être inactif. Des réseaux entiers, comme le default mode network, consomment de l’énergie et assurent des fonctions de veille, de mémoire, de planification ou d’imagerie mentale.
  • En IRM fonctionnelle, on observe qu’aucune zone du cerveau n’est laissée totalement en friche. Les activités cognitives, émotionnelles et motrices mobilisent en permanence de multiples régions interconnectées.
  • Le cerveau est un organe extrêmement coûteux : il représente environ 2 % de la masse corporelle mais consomme 20 % de l’énergie. Si 90 % était vraiment inutilisé, l’évolution n’aurait pas “conservé” une telle dépense métabolique.

Le MIT McGovern Institute for Brain Research souligne que ce mythe persiste parce qu’il alimente l’idée d’un potentiel caché : on rêve d’exploiter une réserve illimitée d’intelligence. En réalité, nos limites ne viennent pas d’une inactivité cérébrale, mais de contraintes biologiques, attentionnelles et mnésiques bien identifiées.

Pourquoi ce mythe plaît-il autant ?

Il est simple à comprendre : “10 %” frappe l’imagination.

Il nourrit l’espoir : chacun pourrait, en théorie, devenir surdoué ou décupler sa créativité.

Il est utile au marketing : nombre de programmes ou de formations promettent de vous aider à “débloquer vos 90 % inutilisés”.

En résumé : nous utilisons 100 % de notre cerveau, mais pas 100 % en même temps. Les régions s’activent de manière complémentaire selon les tâches. Plutôt que de fantasmer un cerveau “dormant”, mieux vaut chercher à optimiser les fonctions réelles et connues de la mémoire, de l’attention et de l’apprentissage.

« Tu es cerveau gauche (logique) / cerveau droit (créatif) »

Ce neuromythe est né d’une interprétation simplifiée des découvertes en neuropsychologie dans les années 1960 et 1970. Les études sur les patients au « cerveau divisé » (split-brain), qui avaient subi une section du corps calleux pour traiter l’épilepsie, ont montré que certaines fonctions étaient latéralisées : par exemple, le langage est principalement traité dans l’hémisphère gauche chez les droitiers, tandis que certaines tâches spatiales ou musicales sont davantage localisées à droite.

Mais de là à conclure que certains individus sont des « cerveaux gauches » (logiques, rationnels, analytiques) et d’autres des « cerveaux droits » (créatifs, intuitifs, artistiques), il y a un gouffre.

Les neurosciences modernes montrent que :

  • Les deux hémisphères travaillent en étroite collaboration grâce à des centaines de millions de fibres nerveuses dans le corps calleux.
  • Les tâches complexes, comme la lecture, la résolution de problèmes ou la création artistique, mobilisent des réseaux distribués et bilatéraux.
  • Les études d’imagerie cérébrale (IRMf) ne trouvent aucune corrélation fiable entre la « dominance hémisphérique » et la personnalité, la créativité ou le style cognitif d’un individu (U. of Utah Health, 2013).

Comme le rappelle le McGovern Institute du MIT et de nombreux articles de synthèse (PMC), il n’existe aucune preuve qu’une personne puisse être catégorisée durablement comme “cerveau gauche” ou “cerveau droit” dans sa manière de penser.

Pourquoi ce mythe plaît-il ?

Il rassure : se dire « cerveau droit » ou « cerveau gauche » donne une identité cognitive simple.

Il justifie des difficultés : on peut attribuer un échec en mathématiques ou en art à son “mauvais hémisphère”.

Il est facile à vendre : livres de développement personnel, tests en ligne ou formations exploitent cette classification séduisante.

En résumé : la créativité, la logique, la mémoire ou l’intuition ne dépendent pas d’un seul hémisphère, mais de réseaux interconnectés à travers tout le cerveau. L’image du cerveau coupé en deux personnalités distinctes relève plus du slogan marketing que de la science.

« Écoute du Mozart pour devenir plus intelligent »

Ce qu’on appelle l’effet Mozart vient d’une étude publiée en 1993 par Rauscher, Shaw et Ky dans la revue Nature. Les auteurs affirmaient que des étudiants ayant écouté une sonate de Mozart présentaient ensuite une amélioration temporaire de leurs performances en raisonnement spatial. La presse s’est emparée du résultat en le déformant : écouter Mozart (ou de la musique classique en général) rendrait plus intelligent.

Or, quand on regarde de plus près :

L’effet observé était faible et transitoire (quelques minutes), et ne concernait pas l’intelligence générale mais une tâche spécifique.

Les tentatives de réplication ont donné des résultats contradictoires : certaines études retrouvent un petit effet, d’autres pas du tout.

Les méta-analyses concluent que l’amélioration n’est pas due à une stimulation cognitive particulière de Mozart, mais plutôt à un effet d’arousal : écouter une musique plaisante, motivante ou énergisante peut augmenter légèrement l’attention et l’humeur, ce qui améliore temporairement certaines performances. On obtient des résultats similaires avec d’autres musiques appréciées par l’auditeur.

Ainsi, contrairement à ce que la vulgarisation a prétendu, il n’existe aucune preuve robuste que le fait d’écouter Mozart augmente durablement le QI ou améliore les capacités cognitives générales (cf. Nature, ScienceDirect).

Pourquoi ce mythe s’est propagé

Il est séduisant : qui n’aimerait pas “devenir plus intelligent” simplement en écoutant de la musique ?

Il a été institutionnalisé : certains États américains (comme la Géorgie) ont même distribué des CD de Mozart aux nouveau-nés dans les années 1990.

Il joue sur l’aura culturelle de Mozart : symbole de génie, il semble logique d’associer sa musique à un effet quasi magique.

En résumé : écouter Mozart (ou toute musique qu’on aime) peut améliorer temporairement la concentration et l’humeur, mais il ne faut pas confondre cet effet d’activation passager avec un gain durable d’intelligence. Pour développer ses capacités cognitives, rien ne remplace l’entraînement actif, la récupération, l’espacement et une hygiène de vie solide.

En somme, les neuromythes séduisent par leurs promesses faciles, mais ils n’apprennent rien d’utile. La vraie mémoire se construit avec des techniques éprouvées. Et ce n’était qu’un échauffement : la suite des “pires conseils” arrive la semaine prochaine…

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