Récit immersif d’un mnémoniste français en compétition à l’Open d’Allemagne (2025 German Open Memory Championship) : trois jours de défis, de records et de rencontres inspirantes, par Dorian, détenteur du record de France aux Speed Cards (27,11 s) et médaillé d’argent du podium français à l’Open de France 2025.

Participer à une compétition de mémorisation au format international, avec des épreuves de 30 minutes ? Jamais je n’aurais imaginé faire cela il y a quelques années… et encore moins dans un pays étranger dont je ne maîtrise absolument pas la langue !
Pendant longtemps, je me suis demandé si c’était une bonne idée, si j’étais prêt et si cela en vaudrait vraiment la peine. Entre une vie professionnelle très intense, le manque de temps pour m’entraîner et des doutes constants, la décision était loin d’être évidente. Mais je savais aussi que plus je continuerais à hésiter, plus je trouverais des excuses pour ne pas y aller. J’ai donc cessé de tergiverser et je me suis engagé, d’autant plus que Sébastien Ravaux m’avait confirmé sa participation. Une fois inscrit, je n’avais plus le choix : il fallait me préparer du mieux possible, c’est-à-dire créer de nouveaux palais mentaux pour les épreuves de 30 minutes et surtout les entraîner !
La préparation n’a pas été parfaite, mais elle m’a permis de partir avec l’ambition de réaliser des scores à la hauteur de mes espérances. J’avais hâte d’y être !



Le jour du départ arrive enfin
Jeudi, à 12h30, juste avant la compétition, Seb m’envoie un message pour m’annoncer qu’il arrive me chercher à Paris avec Richard Soudant, qui a fait tout le trajet depuis Montpellier à 3h du matin. Je me prépare et nous voilà tous les trois en route pour Paderborn : 659 km pour au moins 7h20 de trajet. Finalement, nous mettrons 9h à cause de ralentissements en Allemagne, mais honnêtement, je n’ai pas vu le temps passer tant nos conversations étaient passionnantes.
Sur le chemin, petit moment de panique : nous réalisons que nous n’arriverons pas avant la fermeture de l’accueil de l’hôtel. Heureusement, nous les contactons et obtenons les codes pour récupérer nos clés dans un boîtier à notre arrivée (qui s’avère être un distributeur de clés, à notre grande surprise).

Arrivés à Paderborn vers 22h, nous nous précipitons dans un supermarché juste avant sa fermeture pour acheter de quoi dîner, puis direction nos hôtels respectifs. La première nuit n’a pas été très reposante, l’adrénaline étant à son comble et le début de la compétition attendu avec impatience.
A la découverte de Paderborn
Les épreuves ne commencent qu’à 15h le vendredi avec les 30 minutes de nombres, puis les 30 minutes de cartes. Réveillé très tôt, j’en profite pour découvrir le centre-ville de Paderborn. J’arpente les rues piétonnes et pavées, profitant des lieux conviviaux et apaisants d’une ville au charme médiéval authentique. La rivière Pader, qui a donné son nom à la ville, la traverse en de multiples bras, ponctuant les rues de parcs et de passerelles.
Historiquement, Paderborn prend de l’importance au VIIIᵉ siècle, lorsque Charlemagne y fonde un palais royal et un évêché. Elle devient rapidement une ville influente au Moyen Âge, centre religieux et commercial. Bien qu’elle ait été détruite à 85 % lors des bombardements de 1945, Paderborn a été reconstruite et est aujourd’hui une ville universitaire et technologique, connue pour sa cathédrale et son histoire médiévale.
L’arrivée au Heinz Nixdorf Museums Forum (HNF)
Après un déjeuner léger près de l’hôtel, direction le Heinz Nixdorf MuseumsForum avec Seb. Sur place, nous faisons connaissance avec Eduardo, l’un des rares athlètes de la mémoire espagnols, qui parle très bien français. Nous découvrons les lieux, notamment l’auditorium où nous allons passer de longues heures à mémoriser.
Nous saluons les différents athlètes, notamment les Allemands qui nous accueillent chaleureusement. J’essaie de mémoriser les prénoms des participants, mais je suis trop distrait et nerveux à l’idée de commencer pour que mon cerveau parvienne à retenir toutes les nouvelles informations. Je retrouve des visages familiers :

Johannes Mallow (double champion du monde), Céline De Luca (championne de Belgique), Konstantin Skudler et Boris Konrad, qui font partie de l’organisation, Frank Grube au style gothique très singulier, et Purejav (vice-champion de l’Open de France 2025), venu cette fois en accompagnateur avec son école de jeunes Australiens. Je m’installe au premier rang, Seb à ma droite, une jeune compétitrice algérienne à ma gauche.







Le début de la compétition est enfin lancé
Après avoir lancé officiellement le début de la compétition, nous voilà pleinement engagés pour 30 minutes de chiffres. J’ai du mal à me concentrer, entre les problèmes techniques et l’agitation de ma voisine. J’obtiens 650 points, un score correct mais en dessous de mes attentes. Richard réalise une belle performance avec 128 chiffres mémorisés.

Johannes et Céline dominent l’épreuve avec plus de 1 000 chiffres chacun (et un record de Belgique pour Céline) !
L’épreuve des cartes n’est pas plus satisfaisante pour Seb et moi, avec plusieurs paquets restitués presque correctement, mais avec une seule inversion de cartes (2 paquets avec une inversion pour Seb et 3 pour moi). Richard atteint son objectif en mémorisant un paquet de 52 cartes sans faute pour sa première compétition avec des épreuves à système. Bravo !

Ayant fini un peu plus tard que prévu, après un léger retard au lancement de la compétition, nous sommes tout de suite rentrés à l’hôtel pour nous reposer et surtout nous préparer à la journée du lendemain, qui s’annonçait très chargée.
Deuxième journée : début des premières épreuves à 9h
Pour cette deuxième journée, le rendez-vous est donné à 9h. Pas de promenade, juste un petit-déjeuner fruité pour l’énergie. En arrivant au HNF, nous constatons que de nouveaux compétiteurs sont présents par rapport au vendredi, notamment une partie de l’école algérienne qui s’est installée juste devant nous.
La première épreuve de la journée est celle des 5 minutes nombres, une épreuve classique, présente à chaque compétition de mémoire. En manque de confiance sur les nombres après l’épreuve d’hier, je suis pénalisé par plusieurs images qui ne reviennent pas. Les enfants devant nous étant bien agités, Seb commet une petite erreur mais assure l’essentiel avec 142 points. Eduardo bat un record national avec 186 chiffres mémorisés et restitués correctement.
Nous voilà maintenant à l’épreuve des 15 minutes mots, une épreuve à la fois très appréciée mais également très sévère par son système de notation. J’en fais les frais avec plusieurs colonnes invalidées à raison d’une ou deux erreurs au maximum par colonne.
Seb perd également une colonne et demie, notamment à la suite d’une orthographe très originale avec « crâpeau ». Eduardo finit 6ᵉ de l’épreuve, de nouveau avec un record national à 156 mots ! Johannes arrive largement en tête avec 280 mots, un score très proche du record du monde !

Deuxième essai des 5 minutes nombres avec l’objectif de faire mieux
Pour ce deuxième essai, je suis plus détendu et concentré pendant l’épreuve… jusqu’au moment où une personne fait subitement irruption dans l’auditorium pendant la phase de mémorisation. Cette épreuve n’est finalement pas une réussite de mon côté, avec seulement 200 points.
Après avoir assuré le premier essai, Seb avait pour objectif de viser cinq à six lignes, mais l’épreuve ne se passe pas comme prévu. Il finit très frustré et demande à Boris de trouver une solution face à l’agitation des jeunes enfants en face de nous, certes très sympathiques, mais difficiles à canaliser.
Heureusement, Seb parvient à se remobiliser ensuite et affiche un excellent score de 22 sur les spokens lors de son deuxième essai ! De mon côté, j’ai dû faire face à un problème technique et à un blocage complet sur un nombre dès le premier locus, ce qui m’a complètement plombé l’épreuve, malgré une nette progression récente à l’entraînement.

Céline affiche un score stratosphérique de 200/200 dès son premier essai (record de Belgique évidemment), digne des plus grands champions de mémorisation ! Richard, épuisé par le début de la journée, décide de faire l’impasse sur les épreuves de l’après-midi afin de se préserver pour la journée du lendemain.
Après-midi : épreuves des noms et visages et des binaires
Nous débutons l’après-midi avec l’épreuve des noms et visages, une discipline une nouvelle fois dominée par Céline, avec plus de 100 noms et visages mémorisés. Eduardo la talonne grâce à un nouveau record d’Espagne à 80 points et arrive 3ᵉ de l’épreuve. Je passe une nouvelle fois un peu à côté avec 68 points, tandis que Seb parvient à faire un score honorable de 35 points.

Enfin, nous nous confrontons à l’épreuve des 30 minutes binaires, en conclusion de cette longue journée. Je parviens à remonter la pente en affichant un score de 1 845. Pour Seb, c’est la douche froide : il parvient à mémoriser correctement 987 binaires, mais obtient seulement 201 points. Très déçu, mais lucide sur son manque d’entraînement sur cette discipline, le résultat est difficile à encaisser. Nous déclinons finalement le restaurant proposé par les Allemands afin de sortir un peu tous ces chiffres de nos têtes et penser à autre chose.
Entre-temps, Richard nous a rejoints et nous propose une partie de Scrabble, son domaine de prédilection, pour nous changer les idées. Complètement pris par l’ambiance de la soirée, nous enchaînons trois parties, toutes remportées par Richard haut la main, en apprenant au passage plein de nouveaux mots (notamment « kits » et « métayer »).

Troisième journée, plus calme mais tout aussi importante
On commence cette troisième et dernière journée avec l’épreuve des images sur 5 minutes, et c’est le moment choisi par Seb pour se dépasser et sortir un incroyable score de 300 points, avec un record personnel à la clé ! Splendide !


Son secret ? Un entraînement rapide sur Memory League en une minute le matin, et une confiance accumulée au fil des dernières semaines grâce à une excellente progression à l’entraînement.
Pour compléter les chiffres ronds, Céline termine en tête de l’épreuve avec 500 points, soit presque deux fois plus que son concurrent direct, Johannes Mallow. Seb termine d’ailleurs 4ᵉ de l’épreuve (pas loin derrière moi, qui finis 2ᵉ).
Nous enchaînons rapidement avec l’épreuve des dates fictives, remportée par Johannes puis Céline, avec respectivement 108 et 104 dates mémorisées et restituées correctement, ce qui constitue (encore) un record de Belgique pour Céline. Susanne Hippauf, meilleure athlète allemande derrière Johannes, conforte sa 3ᵉ place avec un score solide de 87.
Dernière épreuve : speed cards, épreuve reine des championnats

Nous arrivons maintenant à la toute dernière épreuve, la fameuse épreuve des speed cards. Johannes l’emporte en 28 secondes. Cependant, Céline assure le paquet en 43 secondes, lui permettant ainsi de valider sa 1ʳᵉ place définitivement au classement général et donc de remporter le titre de championne de l’Open d’Allemagne.
Me concernant, c’est une déception. Je double-clique accidentellement vers la toute fin de mon premier essai, ne voyant ainsi pas les quatre dernières cartes (ce qui m’aurait permis de valider cet essai en 30 secondes).
Confiant dans ma capacité à restituer correctement un paquet de 52 cartes en moins de 30 secondes, je décide d’accélérer sur mon deuxième essai, avec un temps de 27,20 secondes. Malheureusement, je réalise une inversion qui m’empêche de valider le paquet. Je suis évidemment déçu, mais je n’ai pas de regret, mon objectif étant de battre mon précédent record de 27,11 secondes (actuellement record de France), temps que je n’ai pas réussi à améliorer dans tous les cas.
Même tarif pour Seb, qui confond un mammouth avec un yéti, l’empêchant ainsi de valider le paquet de cartes avec un temps de 2 minutes et 32 secondes — ce qui aurait pourtant constitué un record pour lui en compétition.

Fin de la compétition : entre soulagement et frustration
Une fois la dernière épreuve terminée, c’est un soulagement général après ces trois jours intensifs de mémorisation, malgré une légère note de frustration. Je termine avec 3 009 points, à la 8ᵉ place du classement général. J’avais évidemment l’ambition de faire mieux et de me rapprocher des 4 000 points — d’où la déception sur le moment — mais je suis satisfait d’avoir donné le meilleur de moi-même.
Seb finit 21ᵉ avec 1 769 points, nouveau record en compétition officielle, pas loin derrière Eduardo (14ᵉ, 2 356 points). Richard, de son côté, affiche 613 points et termine au 33ᵉ rang.
Sur le podium, Céline arrive en tête avec un nouveau record personnel à plus de 6 000 points, lui permettant ainsi d’entrer dans le top 10 du classement IAM. Johannes arrive juste derrière avec 5 562 points et décroche, par la même occasion, le titre de champion d’Allemagne pour la 8ᵉ fois. Suzanne complète le podium avec 4 285 points.
Derniers échanges avec les compétiteurs internationaux et récupération de quelques « tips »
Nous profitons des derniers instants pour discuter longuement avec les compétiteurs internationaux, notamment avec Céline De Luca. Nous mangeons ensuite rapidement à la cafétéria, en compagnie des Algériens, avant que Konstantin vienne nous remettre notre certificat avec nos noms et scores inscrits dessus.
Ne pouvant assister à la cérémonie, nous saluons rapidement les compétiteurs encore présents, puis nous prenons le chemin du retour vers Paris. Sur la route, je prends le volant, et nous parlons longuement de la compétition et de notre ressenti. Seb nous partage quelques anecdotes insolites avec du Red Bull (chaque anecdote mériterait bien un article à elle seule).

Arrivés à 22h, épuisé, je suis incapable de rentrer le code de mon appartement — un code à six chiffres que je compose tous les jours sans réfléchir (heureusement, une voisine passait par là pour m’ouvrir).
Nous nous sommes dit au revoir, satisfaits de cette compétition et ravis des quatre jours passés ensemble.
En conclusion
Participer à l’Open d’Allemagne fut une expérience aussi exigeante qu’enrichissante. Au fil des trois journées de compétition, entre doutes, moments de dépassement et rencontres internationales, j’ai pu mesurer à quel point la mémorisation est une aventure humaine autant que technique.
Malgré la fatigue, les frustrations et les petits échecs, je retiens avant tout la satisfaction d’avoir donné le meilleur de moi-même, d’avoir partagé des instants précieux avec des amis et des compétiteurs venus du monde entier.
Ce voyage, ponctué d’anecdotes et de belles découvertes, m’a rappelé que l’essentiel n’est pas seulement le score final, mais la passion, la persévérance et la convivialité qui animent cette discipline.
Un grand merci à Seb et Richard pour le voyage et tous les bons moments. Merci à toute l’organisation de l’Open d’Allemagne, aux Allemands pour leur accueil chaleureux, et à tous les compétiteurs pour leur enthousiasme et leur bonne humeur.
De manière plus générale, merci à tous ceux qui ont rendu cette aventure mémorable et possible.









