Pourquoi la présence des autres modifie notre manière d’apprendre

Apprendre en groupe n’est jamais neutre. La présence des autres peut stimuler la motivation, accélérer les progrès ou au contraire freiner l’engagement. Cet article explore, à la lumière des recherches, comment l’émulation de groupe influence réellement les apprentissages.


L’émulation de groupe, c’est ce moment où la présence des autres change ta façon d’apprendre : tu travailles plus, plus vite, parfois mieux… et parfois plus mal. Ce n’est pas juste « la compétition », mais tout un ensemble de mécanismes sociaux qui agissent sur la motivation, l’attention et la confiance.

Ce qu’on appelle vraiment « émulation de groupe »

Dans le langage courant, on parle d’« émulation » quand la présence des autres donne envie de se dépasser. En contexte d’apprentissage, ce n’est pas seulement le fait de comparer sa note à celle du voisin. C’est un mélange de quatre ingrédients : on observe les autres, on se compare à eux, on se sent regardé, et on a plus ou moins le sentiment d’appartenir à un collectif.

À l’échelle d’une classe, d’un groupe d’étudiants ou d’une communauté en ligne, cela signifie que chaque apprentissage individuel est baigné dans un environnement social : on voit comment les autres s’y prennent, on devine quelles attitudes sont valorisées, on repère qui est considéré comme « bon » ou « mauvais ». Même sans le vouloir, on ajuste son comportement à ce climat.

L’émulation de groupe, dans ce sens, n’est pas une technique pédagogique précise, mais une dynamique : la manière dont la présence et le niveau des pairs modifient la façon d’apprendre.

Les grands mécanismes psychologiques en jeu

Apprendre en regardant les autres : l’héritage de Bandura

Avec la théorie de l’apprentissage social, Albert Bandura a montré que nous n’apprenons pas seulement par essais-erreurs, mais énormément par observation des autres. On capte des modèles, on regarde ce qu’ils font, comment ils le font, et ce qu’ils obtiennent comme résultat.

Un point clé de cette théorie est le renforcement vicariant : quand on voit quelqu’un être félicité, récompensé ou valorisé pour un comportement, cela augmente notre probabilité de l’imiter, comme si la récompense nous concernait directement.

Dans un groupe d’apprentissage, cela signifie qu’un élève qui pose des questions pertinentes, qui travaille régulièrement ou qui progresse rapidement devient un modèle. Si le groupe ou l’enseignant valorise fortement ces comportements, les autres apprenants apprennent non seulement le contenu, mais aussi la manière de s’engager dans l’apprentissage.

Se situer dans le groupe : la comparaison sociale et le « concept de soi » académique

La théorie de la comparaison sociale part d’une idée simple : pour savoir si l’on est « bon », on se compare aux autres. À l’école et à l’université, ces comparaisons façonnent ce qu’on appelle le concept de soi académique : l’image que chacun a de ses compétences en mathématiques, en langues, en sciences, etc.

Des travaux récents montrent que les élèves ne se comparent pas à tout le monde de la même façon : ils regardent surtout certains pairs jugés proches d’eux ou particulièrement visibles, et ces comparaisons influencent directement leur estime de soi et leur motivation.

L’effet n’est ni entièrement positif ni entièrement négatif. Comparer son niveau à celui de pairs légèrement meilleurs peut stimuler l’effort et l’ambition. Comparer son niveau à quelqu’un perçu comme intouchable peut, au contraire, engendrer un sentiment d’infériorité durable. La même dynamique sociale peut donc produire de l’émulation ou du découragement, selon l’interprétation de l’écart.

Être observé change la performance : la facilitation sociale

Un autre phénomène bien documenté est la facilitation sociale. Robert Zajonc a proposé, dès les années 1960, que la simple présence d’autrui augmente notre niveau d’activation physiologique. Lorsque la tâche est simple ou bien maîtrisée, cette activation améliore la performance ; lorsqu’elle est complexe ou nouvelle, elle la détériore.

Appliqué à l’apprentissage, cela donne une règle très concrète : un contexte d’émulation de groupe est particulièrement efficace pour consolider des compétences déjà travaillées, comme des automatismes ou des quiz rapides. En revanche, pour découvrir un concept difficile ou poser des questions naïves, la présence du groupe peut parfois inhiber l’exploration.

Ce que l’on croit de l’intelligence change la manière de vivre l’émulation

Les travaux de Carol Dweck sur le fixed mindset et le growth mindset jouent ici un rôle déterminant. Lorsque les élèves pensent que l’intelligence est une capacité fixe, chaque comparaison sociale devient un verdict personnel. À l’inverse, lorsqu’ils considèrent que les compétences peuvent se développer avec l’effort, la comparaison sert davantage de repère de progression.

Plusieurs études montrent que les élèves avec un état d’esprit de croissance persévèrent davantage face à la difficulté et exploitent mieux les retours d’information. Dans un contexte d’émulation, ils sont plus enclins à observer les meilleurs pour en tirer des stratégies, plutôt que pour se sentir diminués.

Ce que montrent les recherches sur les pairs et la réussite

Les études récentes convergent sur un point : les relations entre pairs ont un impact significatif sur la réussite scolaire et universitaire.

Une grande revue de la littérature (Wentzel & Muenks, 2016) montre que des relations positives entre élèves sont directement liées aux résultats académiques, mais aussi indirectement via la motivation et l’engagement. Des pairs bienveillants et impliqués renforcent l’attention en classe et l’investissement personnel.

Parallèlement, des travaux sur le climat scolaire et le sentiment d’appartenance indiquent que se sentir accepté et en sécurité est fortement associé à la performance, à la persévérance et à la santé psychologique.

Autrement dit, l’émulation ne fonctionne vraiment que si le groupe constitue un environnement sûr, où la réussite des autres est perçue comme compatible avec la sienne.


Quand l’émulation de groupe renforce les apprentissages

On peut dégager plusieurs configurations où l’émulation a des effets bénéfiques.

La première, c’est lorsque la tâche est déjà familière. Les compétitions amicales ou défis de mémorisation fonctionnent bien lorsque les bases sont acquises : la présence des autres accroît la concentration et la vitesse sans bloquer l’accès au savoir.

La deuxième configuration favorable apparaît lorsque le groupe valorise explicitement les efforts, les stratégies et les progrès, plutôt que la seule facilité. Les modèles efficaces sont alors perçus comme accessibles, et leurs réussites comme reproductibles.

Troisièmement, l’émulation devient particulièrement intéressante quand les comparaisons sociales restent modérées et évolutives. Suivre sa progression et voir celle des autres contribue à stabiliser un concept de soi académique fondé sur la progression.

Enfin, lorsque le sentiment d’appartenance est fort, l’émulation prend une dimension coopérative : la réussite individuelle bénéficie au groupe, et la réussite collective renforce l’individu. L’apprentissage devient alors un levier de persévérance et d’automatisation.

Quand l’émulation de groupe devient un frein

Les mêmes mécanismes peuvent toutefois jouer contre les apprentissages.

Lorsque la tâche est nouvelle ou difficile, la présence du groupe rend plus risqué le fait de se tromper publiquement. La facilitation sociale se transforme alors en inhibition, surtout dans des contextes où l’erreur est vécue comme une faute.

Lorsque la comparaison sociale est omniprésente, certains élèves peuvent intérioriser un concept de soi négatif, avec des effets durables sur la motivation et les choix d’orientation.

Enfin, lorsque le climat social est marqué par le rejet ou les moqueries, la dynamique de groupe devient une source de menace. Apprendre « en groupe » revient alors à survivre dans un environnement chargé d’anxiété.


Comment orienter l’émulation dans le bon sens ?

La question n’est pas de savoir s’il faut de l’émulation, mais comment la sculpter.

Expliquer explicitement comment on apprend, insister sur l’effort, l’erreur comme information et le développement des compétences favorise un état d’esprit de croissance et modifie la lecture des comparaisons sociales.

Alterner des temps de travail individuel profond et des moments collectifs plus visibles permet de profiter des effets de groupe sans sacrifier la compréhension.

Du côté des apprenants, transformer la comparaison en collecte de méthodes plutôt qu’en jugement de valeur change radicalement l’expérience de l’émulation.

Enfin, dans les environnements numériques, valoriser la progression, les tentatives répétées et les comportements d’apprentissage permet de créer une émulation centrée sur la démarche, pas seulement sur le score.

Conclusion : le groupe comme laboratoire d’apprentissage

L’émulation de groupe n’est pas une simple ambiance de challenge. Elle mobilise des mécanismes psychologiques puissants : apprentissage par observation, comparaison sociale, facilitation de la performance, croyances sur l’intelligence et sentiment d’appartenance.

Quand ces mécanismes sont alignés, le groupe devient un véritable laboratoire d’apprentissage. Quand ils ne le sont pas, il se transforme en pression stérile.

L’enjeu n’est donc pas de choisir entre individuel et collectif, mais d’apprendre à utiliser la présence des autres comme un levier de développement plutôt que comme un couperet.

Sources et références scientifiques

Les analyses présentées dans cet article s’appuient notamment sur les travaux et synthèses suivants :

  • Albert Bandura – Théorie de l’apprentissage social et renforcement vicariant (Simply Psychology, EBSCO, tutor2u.net)
  • Leon Festinger – Théorie de la comparaison sociale et concept de soi académique (PMC, ResearchGate, cris.tuni.fi)
  • Robert Zajonc – Facilitation sociale et effets de la présence d’autrui sur la performance (ResearchGate, ScienceDirect, Wikipedia)
  • Carol Dweck – Fixed mindset, growth mindset et motivation scolaire (OCDE, Farnam Street, praditus.com)
  • Recherches sur les relations entre pairs, le climat scolaire et le sentiment d’appartenance (SpringerLink, Tandfonline, PMC)

Le groupe peut créer de l’émulation, mais les convictions, la motivation, l’engagement aussi, n’est-ce pas ? Si vous voulez en savoir plus alors ça se passe ici : « Contrôle des croyances d’apprentissage » !