Quand la stratégie déjoue les pronostics – Chronique d’un duel Memory League


J’ai envie de vous raconter un épisode qui restera longtemps gravé dans ma mémoire de compétiteur.
Je m’appelle Sébastien Ravaux et, il y a quelques semaines, je me préparais pour le German Open Memory Championship 2025.
Mon objectif était modeste : ne pas finir au fond du classement dans un tournoi dominé par des Allemands redoutables.
J’avais donc élaboré un programme digne d’un camp d’entraînement : pendant trois semaines, trois heures par jour, six jours sur sept, pour passer en revue toutes les épreuves.
C’était intense, mais j’y ai pris goût : chaque séance était un pas de plus vers un nouveau palier.

Grâce aux échanges avec Nathan, mon partenaire de coaching à l’ASM, j’ai affiné mon plan :
drill des palais, longues épreuves pour muscler l’endurance, rappels Anki pour ménager le cerveau…
Le résultat : un gain spectaculaire — près de 30 % de progrès sur les images en une seule semaine.
Assez pour me donner le vertige : moi qui visais seulement la survie en tournoi, je me prenais à rêver de rivaliser avec de vrais costauds.

Mais l’histoire que je veux raconter ne s’est pas jouée en Allemagne.
Elle s’est écrite juste après, sur Memory League, division 4.
Mon adversaire du jour : Alfonso Di Bella, un joueur plus fort que moi sur presque toutes les disciplines.
J’avais choisi de l’affronter précisément pour cette raison : je ne pensais pas pouvoir le battre, je voulais juste temporiser avant d’attaquer des adversaires plus à ma portée.


Et pourtant… à force d’entraînements et de parties quotidiennes avec mon ami Flo,
j’ai fini par entrevoir une faille dans l’armure d’Alfonso.
Ses statistiques restaient stables : rapides sur les cartes et les words, solides sur les images et les names…
mais ses numbers plafonnaient à 76–77, rarement 80 en une minute.
Or moi, après ma progression express, je pouvais désormais atteindre 80 chiffres.
J’avais donc une arme secrète — à condition de ne pas l’éventer.

J’ai dissimulé mes progrès, évitant soigneusement toute partie classée en Numbers pour ne pas éveiller ses soupçons.
Mon plan : l’amener à lancer cette épreuve, prendre le point, relancer immédiatement les Numbers pour enchaîner un deuxième point,
puis temporiser sur les Inter Names et tenter le coup final sur les images.

Jour J.

La tension était telle que j’ai commis une bourde : croyant que c’était à moi de choisir la première épreuve, j’ai cliqué sur Inter Names.
Alfonso m’a corrigé et, imperturbable, a commencé par Cards — sa spécialité.
Sans surprise, je perds sèchement : 0–1.
Mais cette manche m’a permis d’étalonner mes sensations : trop de nervosité, vitesse bridée, ancrages brouillons.
Je devais trouver le juste équilibre entre vitesse et qualité de visualisation.
En réglant ça, j’ai remporté les Inter Names : 1–1.
Là encore, Alfonso n’a pas forcé ; il pensait pouvoir rattraper ensuite.

Et c’est là qu’il m’a offert l’occasion rêvée : il choisit les Numbers.
Je n’en revenais pas : j’avais prévu qu’il n’irait sur cette épreuve qu’après avoir sécurisé son score avec les Names.
Le stress monte : ça passe ou ça casse.
Je m’élance, traverse mes loci, accélère à la fin pour saisir le grab complet…
Je termine juste au buzzer : 60 secondes pile !
Mon cœur s’emballe : si j’avais manqué les derniers chiffres, tout tombait à l’eau.
Mais non : 78 chiffres pour moi contre 68 pour lui.
Je mène 2–1.

Profitant de l’ascendant psychologique, je relance immédiatement une deuxième manche de Numbers.
Alfonso s’énerve, accélère pour me rattraper ; c’est exactement ce que j’espérais.
Encore 78 pour moi, 71 pour lui.
3–1.
Il vacille. Je sens le tilt.

Pour se refaire, il choisit… les Images.
Erreur stratégique : il avait les Names et les Words pour me dominer,
mais la frustration l’a poussé vers un terrain plus incertain.
Je m’inquiète malgré tout : la pression me ralentit,
je rate des ancrages et perds cette manche : 26 images en 35 s contre 30 images en 22 s.
3–2.
La victoire peut encore m’échapper.

Tout se joue sur la dernière manche, heureusement c’est à mon tour de choisir l’épreuve et je tente donc… une revanche sur les Images évidemment !
Je sais que je dois viser 30 images en ~22 s pour espérer l’emporter.
Je démarre à pleine vitesse mais reste prudent sur les ancrages.
Je boucle en 27 s.
Alfonso va plus vite (22 s) mais commet une erreur fatale :
deux oiseaux semblables qu’il confond au recall.
Moi, j’avais pris le temps de noter la différence.
Résultat : 30 images contre 28. Victoire ! 4–2.


Je suis resté un moment incrédule devant l’écran.
J’avais battu un joueur supérieur en vitesse pure,
grâce à une stratégie cachée, un pari sur mes nouveaux points forts et un peu de psychologie.
Flo me propose aussitôt de rejouer, mais je suis vidé, incapable de continuer.
Ce match venait d’ouvrir un nouveau chapitre :
la perspective d’enchaîner des victoires et peut-être d’accéder à la division 3…
un rêve grisant mais qui annonce de nouveaux défis, car là-haut, le niveau est d’un tout autre ordre.


Moralité :

Dans Memory League, il ne suffit pas d’être le plus rapide.
La préparation, l’analyse des points forts et faibles,
le choix des épreuves et la gestion du mental peuvent faire basculer un match.
Cette victoire m’a rappelé que l’intelligence stratégique peut surprendre même des adversaires plus rapides.

Mais cette victoire a eu un prix caché.
Une fois l’euphorie retombée, j’ai ressenti un véritable contrecoup mental :
le cerveau encore saturé d’adrénaline, le corps épuisé comme après un sprint.
Pendant deux jours, je me suis senti à plat : concentration en berne, petites douleurs, une sensation diffuse de “grippe sans fièvre”.
C’est un phénomène courant chez les compétiteurs : on mobilise tout pour l’instant décisif, puis le système nerveux réclame son dû.
Ce creux est inconfortable, mais il fait partie du processus : c’est dans ces phases de repos forcé que le cerveau consolide les apprentissages et que l’on recharge ses batteries.
Le comprendre m’a aidé à ne pas paniquer devant cette baisse de régime : le repos faisait partie de la progression.

Cette victoire n’était qu’un tremplin ; l’histoire, elle, continue de s’écrire !

Si vous avez aimé ce récit, alors n’hésitez pas à aller consulter la page : « Carnet de vol vers l’Open d’Allemagne » !
(… et à me le faire savoir, j’écrirai le récit d’autres aventures, les miennes ou celles de nos athlètes !!)