Synesthésie : quand les sens se mélangent

La synesthésie est un phénomène neurologique fascinant où les sens se mélangent : chiffres colorés, sons qui ont une forme, ou mots qui ont un goût. Cet article explore ses formes, ses origines cérébrales, ses liens avec la créativité et ses implications pour la perception humaine.


Imagine un monde où les chiffres ont des couleurs, les sons évoquent des formes, ou encore les jours de la semaine ont une saveur. Ce n’est pas de la science-fiction, ni une hallucination, mais une réalité neurologique vécue par une partie de la population : la synesthésie.

Qu’est-ce que la synesthésie ?

La synesthésie (du grec syn, « avec » et aisthesis, « sensation ») désigne un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés de façon involontaire, automatique et constante. Une stimulation sensorielle entraîne une réponse dans un autre système sensoriel.

Exemples courants :

  • Voir des couleurs en entendant des sons (synesthésie audio-visuelle)
  • Associer des chiffres ou des lettres à des couleurs (synesthésie graphème-couleur)
  • Percevoir des goûts en entendant certains mots (synesthésie lexical-gustative)

Cette expérience n’est pas métaphorique : les synesthètes voient réellement les couleurs, sentent les textures ou goûtent les sons, même si ces perceptions ne sont pas projetées dans le monde extérieur.

Prévalence et formes de synesthésie

On estime que 1 à 4 % de la population mondiale présente une forme de synesthésie. Il en existe plus de 80 variantes documentées, mais certaines sont plus fréquentes :

Type de synesthésieDescription
Graphème-couleurLettres ou chiffres perçus en couleur
Son-couleurSons évoquant des couleurs
Lexicale-gustativeMots qui déclenchent un goût particulier
Personnification ordinaleLes nombres ou les jours ont des personnalités ou des genres
Kinéto-auditiveSons associés à des mouvements ou des textures

Certaines personnes combinent plusieurs formes à la fois.

Origines neurologiques et scientifiques

La synesthésie reste un mystère partiel pour les neurosciences, mais plusieurs hypothèses tentent de l’expliquer :

Connectivité cérébrale accrue

Des études d’imagerie (IRM fonctionnelle) montrent que les synesthètes ont souvent plus de connexions entre certaines aires sensorielles du cerveau, notamment entre les régions visuelles et auditives ou entre les aires du langage et du goût.

Manque d’inhibition

Selon la théorie de la « désinhibition croisée », les signaux neuronaux ne sont pas correctement filtrés entre les aires sensorielles, ce qui permet une activation simultanée inhabituelle.

Hypothèse développementale

Tous les bébés seraient, à la naissance, dans un état légèrement synesthésique, mais avec la maturation du cerveau, ces connexions se spécialiseraient. Chez les synesthètes, certaines connexions persisteraient.


Synesthésie acquise ou induite

Bien que la synesthésie soit souvent innée (et parfois héréditaire), des cas acquis existent :

  • Après une lésion cérébrale ou un traumatisme crânien
  • Sous l’effet de drogues psychédéliques (LSD, psilocybine)
  • À travers un entraînement intensif, notamment chez les artistes ou les musiciens

Il existe même des cas de synesthésie temporaire chez des personnes plongées dans des états émotionnels extrêmes ou de méditation profonde.

Synesthésie et créativité

La synesthésie est particulièrement fréquente chez les artistes, musiciens, poètes et écrivains. Elle a influencé de nombreuses œuvres :

  • Kandinsky : peintre abstrait, percevait les sons comme des couleurs
  • Olivier Messiaen : compositeur français, associait des accords musicaux à des couleurs très précises
  • Vladimir Nabokov : écrivain, décrivait ses lettres comme colorées depuis l’enfance
  • Pharrell Williams et Billie Eilish : musiciens synesthètes modernes qui affirment composer en fonction des couleurs ressenties

Pour ces artistes, la synesthésie enrichit la perception du monde et stimule la création multisensorielle.

Vivre avec la synesthésie

La plupart des synesthètes vivent leur condition comme une faculté agréable, parfois même avantageuse pour la mémoire (comme dans le cas des « calendriers colorés » ou de la mémoire visuelle renforcée). Cependant, cela peut aussi être perturbant, surtout si :

  • la stimulation est trop intense ou gênante (goûts désagréables associés à des mots courants),
  • les associations interfèrent avec certaines tâches,
  • la personne pense être « bizarre » ou isolée avant de découvrir que ce qu’elle vit porte un nom.

Aujourd’hui, grâce à Internet et à la vulgarisation scientifique, beaucoup de synesthètes découvrent qu’ils ne sont pas seuls.

Synesthésie et cognition humaine

Ce phénomène remet en question la manière dont nous classifions les sens et construisons la réalité :

  • Est-ce que nos sens sont vraiment séparés ?
  • La synesthésie révèle-t-elle une forme supérieure de perception ?
  • Est-ce un résidu d’une cognition plus primitive ou plus intégrée ?

Certains chercheurs voient la synesthésie comme un pont vers une compréhension plus holistique de la conscience. Elle pose aussi la question du langage intérieur, de la manière dont nous pensons en images, sons, concepts… et parfois tout à la fois.

Pour aller plus loin

  • « The Man Who Tasted Shapes », de Richard Cytowic : ouvrage pionnier sur la synesthésie
  • « Wednesday Is Indigo Blue », de Cytowic et Eagleman : étude complète et accessible
  • Témoignages vidéo : David Eagleman – Synesthesia

Vous souhaitez découvrir les techniques de base qui permettent de mieux mémoriser ? Alors la page « Les Bases pour les Jeunes Pousses » est faite pour vous !